Les entreprises sont sur la paille avec la crise et ne survivent qu’à coups de renflouement étatique. Toutefois, les marchés boursiers explosent, ayant quasiment retrouvé leur niveau d’avant crise – surtout les principales capitalisations. Les marchés financiers semblent avoir perdu le sens du réel…
Aujourd’hui, on observe une dichotomie criante entre l’économie réelle, les entreprises, et les marchés financiers. De manière générale les entreprises souffrent à cause de la crise: elles doivent être renflouées à coups de milliards grâce à l’aide de l’Etat.
Mais en parallèle – gros paradoxe – les marchés boursiers s’envolent. Pour exemple, le Nasdaq, l’indice américain des nouvelles technologies, est au plus haut; il a même dépassé son niveau d’avant crise.
“Il y a eu une mobilisation des gouvernements et des banques centrales, depuis le début de cette crise due à la pandémie, de manière concertée. C’est quelque chose qu’on n’avait jamais vu auparavant”, analyse Thomas Veillet, trader depuis une trentaine d’années et chroniqueur boursier pour investir.ch.
“Il y avait eu une crise en 2008-2009, à l’époque des subprimes, et les banques centrales étaient déjà intervenues, mais de manière moins concertée que ce qu’elles font aujourd’hui”, rappelle-t-il mardi au micro de La Matinale (écouter l’interview complète en tête d’article).
Wall street vs. Main street
Aujourd’hui, la concertation est globale: “Tous les pays, toutes les banques centrales: tout le monde va dans la même direction. Les plans de sauvetage, les plans de stimulus, les intérêts à zéro, font que, finalement, on voit que les gouvernements et les banques centrales ont vraiment cette volonté de soutenir l’économie, en premier – en théorie – et les bourses en deuxième…”
Mais le financier modère son propos: “Ils ont peut-être surtout envie de voir les bourses monter d’abord, pour dire: ‘Non, non, on n’est pas en train de couler! Ne vous inquiétez pas, ça va bien se passer: l’économie suivra derrière…’ C’est toujours cette différence entre Wall street et Main street, c’est-à-dire entre le marché boursier et la réalité économique”.
Ayant observé beaucoup de crises dans sa carrière, l’homme de 49 ans souligne la spécificité de celle-ci: elle n’est pas “uniquement” économique, mais aussi sanitaire. Il est donc particulièrement difficile de prédire comment les marchés boursiers vont se comporter.
Le 23 mars, on était tous en train de s’ouvrir les veines avec un couteau à beurre!
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Pour Thomas Veillet, si les gouvernements et les banques centrales n’avaient rien fait pour redynamiser l’économie, “on ne serait probablement pas en train de se parler, car il n’y aurait plus d’argent nulle part et le capitalisme aurait peut-être disparu! Je ne sais pas!”, ajoute-t-il, le sourire aux lèvres.
Vers la gueule de bois?
Impossible de prédire la suite si la pandémie s’installe de manière durable: “Je vous rappelle que le 23 mars, on était au plus bas, au fond du trou, on était en train de s’ouvrir les veines avec un couteau à beurre, et puis aujourd’hui, quelques mois plus tard, le Nasdaq et l’or sont au plus haut de tous les temps! Toutes les nouvelles technologies aussi. Ça n’arrête pas de monter et les théories qui nous justifient cette hausse sont les mêmes qu’on a entendues il y a plus ou moins vingt ans à l’époque de la bulle internet”.
Il y a plusieurs scénarios possibles pour l’avenir: soit l’économie redémarre gentiment, car les mesures prises sont efficaces et tout se passe bien: “L’économie réelle va finalement rattraper la bourse et on dira ‘la Bourse avait raison, elle avait juste anticipé’…”, prévoit l’analyste.
L’autre possibilité c’est de se rendre compte que la crise économique est là pour durer, “que la problématique de la pandémie va plomber l’économie et que cela va durer plus que six mois pour s’en remettre – voire plutôt deux ou trois ans; la Bourse dira ‘On s’est plantés, on est allé trop loin’ et là, il va falloir se rapprocher de l’économie réelle”. Thomas Veillet promet, à ce moment-là, “une sacrée gueule de bois”.
Interview radio: Benjamin Luis
Adaptation web: Stéphanie Jaquet